Monsieur Juvin,
Je viens de prendre connaissance, avec stupeur, de votre communiqué accusant la Ministre de l’Education, Najat Vallaut-Belkacem, de minimiser les chiffres recensant les perturbations « constatées » pendant la minute de silence dans les établissements scolaires.
Je vais vous dire, au risque de vous surprendre : dans une certaine mesure, je suis d’accord avec vous.
Il y a certainement eu plus de 70 comportements d’incivilités pendant cette minute de silence, organisée au lendemain d’un drame qui a mis notre pays en état de choc.
Il y a eu des élèves qui ont refusé de s’associer à cette minute de silence parce qu’ils y voyaient, à tort, une provocation ou une condamnation de leur religion. Il y a aussi eu des élèves qui ont cru bon de polluer ce moment par des propos racistes ou islamophobes -de cela, vous ne parlez pas, pour des raisons purement politiciennes, ce sont pourtant les deux facettes d’un même problème-. Les enseignants n’ont sans doute pas pensé à tenir des statistiques : beaucoup d’entre eux étaient étreints par un chagrin immense et sincère.
Soyons absurdes et rions un peu, à la mémoire de Charlie : pour comptabiliser les manquements, on pourrait recommencer cette minute de silence, Monsieur Juvin. Ca vous permettrait peut-être de rembobiner le film et d’organiser un moment de commémoration citoyenne dans notre ville, une des rares d’Ile-de-France où cela n’a pas eu lieu, mais on ne saurait vous en tenir rigueur, car au moins étiez-vous cohérent avec vous-même.
Dans un premier temps, en effet, vous n’étiez pas Charlie, Monsieur Juvin.
Aucun tweet de soutien en mémoire des morts de Charlie Hebdo (et pas davantage, d’ailleurs, pour les victimes juives du supermarché Casher de la Porte de Vincennes, deux jours plus tard), alors que vous êtes si prompt à défendre ce brave Eric Zemmour contre la bien-pensance de la pensée unique. Au lendemain du drame, aucun signe de deuil sur le site de notre ville.
Étonnant, pour un maire 2.0 ? Non, normal.
L’anticonformiste de droite, chez vous, l’amateur d’écrivains pétainistes avait sans doute du mal à s’associer à ces grands gamins de Charlie, ces électrons libres dont le crayon tendre et incisif dénonçait si souvent ce que vous chérissez, la tentation sécuritaire, les atteintes répétées de La Manif pour Tous à la laïcité…
Mais sans doute n’avez-vous pas su vous retenir, tant était grande la tentation de surfer sur le tsunami émotionnel qu’a engendré ce slogan, « Je suis Charlie ». A votre tour, le 8 janvier au soir, vous y avez succombé, à votre façon, c’est-à-dire en polémiquant.
Être Charlie, pour vous, c’était revendiquer la légitimité de Marine Le Pen à participer à une marche qui devait, avant tout, être une marche contre la haine, et que certains voulaient réduire à quelque chose de beaucoup moins noble.
Et vous voilà, aujourd’hui, en train de sermonner Najat Vallaud-Belkacem pour exiger que l’école fasse respecter ces valeurs républicaines que vous avez insultées, il y a quelques années, en baptisant un collège du nom de Kleber Haedens, écrivain nationaliste, secrétaire particulier de Charles Maurras sous l’Occupation, ardent partisan de Pétain et de Mussolini.
Un écrivain qui détestait les enseignants, coupables selon lui d’embrigader les enfants en leur faisant étudier les philosophes des Lumières.
Faut-il vous rappeler qu’à l’époque, vous vouliez faire distribuer à nos enfants une Histoire de La Littérature Française écrite par cet auteur, un ouvrage nationaliste tellement orienté qu’il sert de manuel de référence pour les jeunes recrues de l’Action Française et qu’il fait partie des livres de chevet de Jean-Marie Le Pen ?
Dans ce moment incroyablement difficile que traverse notre pays, il faut effectivement ouvrir un débat pour comprendre ce qui a pu transformer de jeunes français en fanatiques.
Najat Vallaud-Belkacem, qui défend ardemment la laïcité contre toutes les formes d’intégrisme (et qui fut menacée pour cela) est particulièrement qualifiée pour le mener.
Nous n’avons pas besoin de polémiques inutiles pour le polluer, surtout quand ceux qui les lancent n’ont guère de légitimité pour évoquer les sujets dont ils se saisissent.
Honnêteté intellectuelle, disiez-vous ?
Martine BONNIN
Écrivain et militante associative.
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