23 h 30, ce dimanche 6 mai, au siège du conseil général des Hauts-de-Seine, à Nanterre.
Ambiance fin de règne dans la salle des conférences, où se joue la traditionnelle soirée électorale. La mine grave, la majorité présidentielle devenue minorité noie son chagrin dans le buffet, jure que « tout va bien ». L'opposition devenue majorité présidentielle se frotte les mains et jubile avant de rejoindre la Bastille. Pascal Buchet, le patron de la fédération socialiste du « 9-2 », ce département parmi les plus sarkozystes et les plus riches de France, fief du président déchu, célèbre pour ses guerres fratricides à droite, ne donne pas une semaine à l'UMP local et national pour « exploser ».
« Ils se disent unis mais dans quelques jours, ils vont sortir les armes et régler les comptes. Vous allez voir ! Ça va être le bordel !
Il y a trop de rancœurs à droite. L'affaire de l'EPAD a scellé la scission. Devedjian va vouloir prendre sa revanche après tout ce que lui a fait le clan Sarko-Balkany. Sur la deuxième circonscription, Rama Yade et le baron Aeschlimann vont s'écharper. Sur la neuvième, Solère et Guéant vont en découdre. Pemezec, l'ennemi juré de Devedjian qui a voté Le Pen en 2002 au lieu de Chirac, va s'allier avec l'extrême droite. Des candidatures nouvelles vont apparaître à droite à trois semaines des législatives. »
Devant les panneaux où s'affichent petit à petit les résultats des trente-six communes, le maire de Fontenay-aux-Roses savoure la victoire avec les siens. Enumère les villes de droite où Hollande arrive en tête : Villeneuve-la-Garenne (67,11 %), Châtillon (55,4 %), Châtenay-Malabry (58 %), Bourg-la-Reine (52,2 %), Montrouge (58,2 %), Meudon (50,31 %), Vanves (56,44 %) et surtout Antony (52,26 %) et Issy-les-Moulineaux (51,7 %). Deux terres « encore plus symboliques » pour Pascal Buchet, qui incarnent la Sarkozie. La première est la ville de Patrick Devedjian, maire de 1983 à 2002, président du conseil général et député sortant, où durant l'entre-deux tours, sur les marchés, on n'a pas vu un militant UMP. La seconde est la ville d'André Santini, député-maire, président du Nouveau Centre, candidat à sa propre succession dans la 10e, l'une des quatre circonscriptions dans l'œil du cyclone.
« Eh oui, le changement, c'est maintenant, même dans les Hauts-de-Seine ! » se réjouit le premier secrétaire de la fédération PS du 92. Guère habitué aux soirées électorales du CG du 92 – « en général, on est cinq socialistes dans une mare de RPR » –, il a rencontré ces derniers jours de nombreux électeurs de droite déboussolés, partagés entre le vote blanc ou le vote... Hollande. L'ex-terrain de jeu de Pasqua, laboratoire du sarkozysme, pépinière de ministres et de conseillers élyséens durant ces dix dernières années, se craquelle. Les municipales et les cantonales avaient révélé les premières fissures. La présidentielle les exacerbe. Nicolas Sarkozy perd cinq points par rapport à 2007 et termine (50,52 %) au coude à coude avec François Hollande (49,48 %).
« Dans cette campagne confuse, l'identité de la droite n'a pas été claire »
Dans la salle, il ne reste plus grand-monde, des collaborateurs du conseil général en costumes sombres et quelques militants UMP qui vous assurent de table en table que « le 92 résiste ». Pas de champagne comme en 2007 mais du vin pour oublier. Près de l'écran géant, Sofiane, sa mère et Myriam, de Nanterre, broient du noir, vivent la chute du « président » comme « une injustice ». « Franchement, ça craint pour la France. Hollande n'a aucune classe, aucune stature. C'est une catastrophe pour le pays. Il s'exprime mal, devrait faire des abdos », dit Myriam. « On a perdu un homme extraordinaire, le capitaine du navire », renchérit la maman de Sofiane. « Est-ce que les musulmans qui ont voté pour Hollande savent qu'il est pour le mariage homosexuel interdit par l'islam ? » demande son fils.
A la table d'à côté, un groupe de jeunes accable « les journalistes à 99 % contre Sarkozy » et s'avouent soulagés devant le résultat plus serré que prévu. « 48 %, c'est pas mal ! C'est un référendum anti-Sarkozy, pas une adhésion pour Hollande. Il est loin du score de Miterrand en 1988. Sur les marchés, on a jamais pu développer le programme de droite. On nous renvoyait constamment au Fouquet's, à l'Epad, aux Balkany, aux casseroles des barons des Hauts-de-Seine », rapporte Rodrigues, un jeune entrepreneur.
Après avoir passé la soirée à dérouler les éléments de langage pour justifier la défaite – « aucun gouvernement sortant en Europe n'a résisté à la crise », « la droite étant à l'Elysée depuis 1995, les Français voulaient l'alternance », « c'est la démocratie, on a mené un magnifique combat », « le score de Hollande n'est pas exceptionnel », « nous sommes soudés dans l'adversité », etc. –, les figures sulfureuses de la droite altoséquanaise ont déserté les lieux. Certaines ont tout simplement boycotté la soirée. Les Balkany ont brillé par leur absence. Le fils Jean Sarkozy aussi. Les « patrons » – Patrick Devedjian, Roger Karoutchi, André Santini – se sont rapidement effacés après le discours de 22h30.
Devedjian, qui ne connaît « que Ferdinand Buisson » a dénoncé, sous les applaudissements et... les sifflets, la campagne très droitière de Sarkozy durant l'entre-deux tours : « Je ne suis pas sûr que les clins d'œil au Front national nous aient aidés dans ce scrutin. En 2007, Nicolas Sarkozy s'était présenté aux Français comme le représentant d'une France de sang mêlé, ce qui correspondait à notre sociologie. Dans cette campagne confuse, l'identité de la droite n'a pas été claire. »
En aparté, pour répondre aux mauvaises langues l'accusant de ne pas avoir versé de larmes à l'annonce des résultats, il a taclé le député de la huitième circonscription, Jean-Jacques Guillet, l'homme que l'ex-chef de l'Etat lui a préféré à la tête de l'UMP des Hauts-de-Seine : « Je ne suis pas là pour répondre de la défaite. C'est lui le responsable de la campagne dans le département. Où est-il ce soir ? Je ne le vois pas. C'est étonnant qu'il ne soit pas là. »
Karoutchi, le secrétaire général de l'UMP des Hauts-de-Seine, a fustigé les médias qui « comparaient les drapeaux tricolores de la Concorde à Nuremberg » : « Nous n'étions pas face à une vague médiatique qui nous portait. » Le sénateur et conseiller politique de l'UMP a martelé : « Nous avons perdu une bataille, pas la guerre. Il faut rester soudés et s'unir pour gagner les législatives et éviter des drames au pays. » Santini, président du Nouveau Centre dans le 92, a fusillé François Bayrou : « Laissons comme disait l'autre le chien crever au fil de l'eau. Aujourd'hui, nous signons son acte de décès. Adressons-nous à ses électeurs. »
François Kosciusko-Morizet, le maire de Sèvres, le père de « NKM », la porte-parole de Sarkozy, ne s'est pas éternisé à l'image de nombreux élus. Un verre, quelques poignées de main et déclarations et il s'en est reparti aussi discrètement qu'il était apparu peu après le discours des chefs de file. Pas inquiet pour l'avenir de l'UMP dans les Hauts-de-Seine : « Le parti n'explosera pas. » Comme sa fille qui « fait ce qu'elle veut », il n'a pas apprécié que Sarkozy consacre l'entre-deux tours à chasser sur les terres du FN. « Il est parti trop tard dans la campagne et il a trop ramé pour récupérer l'électorat Le Pen. Chirac avait perdu parce qu'il ne voulait pas composer avec le FN. Sarkozy a perdu parce qu'il y a passé son temps », abonde Amaury, un vieux militant, ancien gérant d'une société de limousines, délégué aux cantonales de Courbevoie pendant une trentaine d'années.
« Les électeurs en ont marre des baronnies, des rois »
Accoudé à une table, Thierry Solère, l'élu-dissident de Boulogne-Billancourt, n'est pas pressé. Il défait la campagne de Sarkozy « trop à la droite de la droite » avec des amis, bien moins optimiste sur l'état des droites dans le 92. Exclu provisoirement de l'UMP en mars dernier pour oser défier le bras droit de Sarkozy père, Claude Guéant, parachuté dans la neuvième circonscription et dont il se murmure qu'il pourrait finalement se retirer de la course, « le meilleur ami de Sarkozy fils » ne se laisse pas intimider. « Je vais gagner et Copé me réintégrera à l'UMP. A Boulogne, on a perdu 30 policiers et 30 gendarmes. Vous voyez Guéant téléphoner au ministre de l'intérieur de la gauche pour réclamer du renfort alors que c'est à cause de lui que nous avons perdu des effectifs ?» fanfaronne-t-il.
Deux exemples le confortent : Neuilly et Levallois, deux villes où les électeurs ont dit leur « ras-le-bol d'être pris pour des machines à voter ». A Neuilly, en 2008, Jean-Christophe Fromantin, chef d'entreprise, divers droite indépendant, a ravi le fief des Sarkozy à David Martinon dont personne n'oublie la calamiteuse sortie de route. En 2011, il a conforté son assise aux cantonales en pulvérisant la candidate de l'UMP. Au même moment, à Levallois-Perret, Arnaud de Courson, même profil que Fromantin, inconnu en politique, à la tête d'une société de recrutement, infligeait une cinglante défaite à Isabelle Balkany et s'emparait du fauteuil de conseiller général.
Hier bastion étanche du sarkozysme, les Hauts-de-Seine sont devenus le miroir d'une France qui sanctionne la gestion clanique et népotique des Sarkozy-Balkany.
« Les électeurs en ont marre des baronnies, des rois. La gauche doit faire passer une loi : un élu ne devrait pas se représenter après deux-trois mandats », note Arnaud de Courson, en grande conversation avec Pascal Buchet. Le trublion soutient Yade, Fromantin et Solère aux prochaines législatives, prépare les municipales et espère que « Sarkozy ne remettra pas le nez dans ce département, qu'il va tenir sa promesse, se retirer de la vie politique ».
« Il faut en finir avec les Hauts-de-Seine, terre de clans, où la présidence du conseil général se décide à l'Elysée. On est là pour servir, pas pour se servir. Quand je dis “j'habite Levallois”, on ne me parle que des Balkany, jamais de sa qualité de vie, de ses projets », poursuit-il. Même discours à Neuilly où Nicolas Sarkozy, maire de 1983 à 2007, réalise son meilleur score (84,2 % soit un recul de deux points par rapport à 2007). Jean-Christophe Fromantin a préféré ses administrés aux petits fours de l'hôtel du Département.
« Animé par aucun esprit de revanche », il tient à « rester en dehors des querelles », « indépendant ». Il prédit « des surprises énormes en juin » : « On vit un moment politique extrêmement intéressant qui va enclencher une transformation, une fin de cycle, de modèle, en France et dans les Hauts-de-Seine. La droite n'existe plus car elle n'est plus incarnée en terme d'hommes ni revivifiée en matière d'idées. »
Son « petit cas » à lui est devenu « emblématique » : « De nombreux élus de droite, du centre, du département et de toute la France, me sollicitent pour des conseils ou pour monter un groupe politique. Je suis moins seul que tous ces cadors obligés de négocier entre eux, tout en se disputant, en étant indépendant. » Il aborde le troisième tour « dans une dynamique incroyable » : « Nous étions 250 à ma dernière réunion. » L'UMP n'a pas encore mis de candidats face à lui dans la sixième circonscription et Joëlle Ceccaldi-Raynaud n'envisage pas de se représenter. Pour éviter une nouvelle douche froide ?